Par arrêt du 14 avril 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que l’attente présumée des clients d’un magasin d’habillement sur l’apparence physique des vendeuses ne constitue pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante susceptible de justifier l’interdiction du port du voile islamique (Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-24.079).
Il s’agissait, en l’espèce, d’une vendeuse d’un magasin d’habillement (Camaïeu) qui, après un congé parental d’éducation, avait repris son poste vêtue d’un foulard islamique. Refusant de le retirer malgré les injonctions de son employeur en ce sens, elle a été dispensée d’activité puis licenciée. Estimant que son licenciement procédait d’une discrimination en raison de ses convictions religieuses, l’intéressée a agi en justice pour obtenir notamment la nullité de son licenciement. La Cour de cassation lui a donné raison (Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-24.079).
Dans cette affaire, aucune clause de neutralité n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service. L’employeur se fondait sur la politique de neutralité mise en œuvre de manière constante au sein de l’entreprise (qui consistait à mettre à l’écart toutes les salariées refusant d’ôter leur foulard) ainsi que sur l’absence de formalisme obligatoire requis par la loi pour justifier la mesure de licenciement prise à l’encontre de sa salariée. L’employeur estimait en outre que le licenciement était justifié « au regard de l’atteinte à sa politique commerciale », laquelle serait selon lui « susceptible d’être contrariée au préjudice de l’entreprise » par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses. Les arguments de l’employeur tirés notamment des attentes présumées de la clientèle du magasin ainsi que d’un potentiel préjudice commercial n’ont pas convaincu les juges du fond, dont le raisonnement a été approuvé par la Cour de cassation conformément à la jurisprudence nationale et européenne en vigueur sur ce sujet.
La Cour de cassation avait en effet estimé, dans son arrêt “Micropole”, qu’en l’absence de clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, l'interdiction faite à une salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients, qui résulte d’un ordre oral et qui vise donc un signe religieux déterminé, caractérise l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855). Rappelons qu’à défaut de clause de neutralité, l’employeur peut justifier une telle différence de traitement s’il rapporte la preuve d’une “exigence professionnelle essentielle et déterminante” dès lors que l’objectif est légitime et l’exigence proportionnée , au sens de l’article 4 § 1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 et de l’article L. 1133-1 du Code du travail. Les considérations subjectives, tels que les souhaits particuliers d’un client (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855), les attentes présumées de la clientèle du magasin ou encore le risque d’un potentiel préjudice commercial (Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-24.079), ne sauraient être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante selon la Haute Juridiction.
Compte tenu des exigences requises par la jurisprudence en vigueur et de la faible marge de manœuvre laissée aux entreprises, il est vivement conseillé de prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que ce dernier une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail.
Attention toutefois à la rédaction d’une telle clause qui suppose une grande vigilance quant au champ d’application de l’interdiction et aux motifs invoqués pour justifier les restrictions à la manifestation des convictions des salariés. Rappelons à cet égard que le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise tant au regard du personnel (ex: la nécessité de respecter les règles sanitaires, d’hygiène ou de sécurité) que des tiers (ex: restriction limitée aux salariés en contact avec les enfants) et si elles sont proportionnées au but recherché, en application de l’article L. 1321-2-1 du Code du travail.
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